Station Eleven
« Un bel hymne à l’art, qui nous sauvera tous. » (Télérama).

« Station Eleven », par Emily St. John Mandel. 2013 (Le Livre de Poche).
Emily St. John Mandel, née en 1979 à Comox en Colombie-Britannique, est une romancière canadienne anglophone, spécialisée dans le roman policier. En 2014, elle aborde la science-fiction avec son roman Station Eleven qui est finaliste du National Book Award. Wikipédia
Dans un monde où la civilisation s’est effondrée suite à une pandémie foudroyante, une troupe d’acteurs et de musiciens nomadise entre de petites communautés de survivants pour leur jouer du Shakespeare. Un répertoire qui en est venu à représenter l’espoir et l’humanité au milieu de la désolation.
Le roman évènement de la rentrée littéraire, finaliste du National Book Award aux Etats-Unis, qui fera date dans l’histoire de la littérature d’anticipation.
500 000 exemplaires vendus en Amérique du Nord, 150 000 dans les îles Britanniques.
« Profondément mélancolique, mais magnifiquement écrit, et merveilleusement élégiaque. » George R. R. Martin




« Mandel est capable de faire ressentir l’intense émotion d’existences fauchées par une époque terrible. » The New York Times
Fiction ferroviaire, photo-montage
Décembre 2020, gare de Mazy et voie désaffectée à Gembloux (Belgique)
Nous vivrons dans des villes nouvelles
La ville nouvelle s’ouvre à mes pas hésitants
Belles avenues lisses
Murs de marbre murs végétaux
Pas de bruit en surface
Légers trémolos sous le sol
Tout est propre
Pas encore utilisé
L’air empreint d’une douce brume
Dépose ses buées sur ma bouche
On pourrait toucher les nuages de ses doigts
Et survivre dans l’immensité
On pourrait s’élever
Au-delà des ultimes étages
Enlacer de grandes arabesques
Emplir son âme
D’une foi astrale

La ville nouvelle a des allures de cathédrale
De sainte païenne
Son missel colonise
Les citoyens aseptisés
Agenouillés dans ses avenues
Boitillant sur ses trottoirs
Ou buvant l’infini de leurs yeux
Emerveillés
La ville s’impatiente
Se synchronise se métallise
S’enorgueillit
Avec ses greffons de plantes
Pile face sur ses parois

Ses longues et langoureuses inflorescences
Qui détrônent l’humain
Ecrèment la sève
Guident des mains hésitantes
Inoculent l’onde du futur

Les pylônes de l’absolu
Pointent des nuages
Muets et tristes
Allumés la nuit comme des cierges
Phares étouffés
De nos titubements
La ville nouvelle enfante dans la douleur
Crispée sur son ventre de démiurge
Déjà maternelle avant l’aube
Nourrissant ses ouailles
Au doux lait de ses entrailles
Elle accumule tant d’amour
De pierres chaudes de macadam pétrifié
De grandes bavures de verdure
Acculée à se maudire
La ville nouvelle
Enfouit ses rêves
Et mes pas hésitants s’engluent
Dans ses veines secrètes
GILRAY, novembre 2020
Manuscrit de comptoir
Une vie antérieure |
J’étais attablé à un bar du côté de la Place Blanche. Plutôt sombre. Quelques consommateurs le long du zinc, peu loquaces. Le barman s’approcha de moi, me tendit une feuille un peu défraichie. « Je crois que ça va vous intéresser. Un type, hier soir, a laissé ce texte avant de partir. Il l’avait écrit sous mes yeux après m’avoir demandé du papier. Vous avez une tête à vous intéresser à la littérature ! » Je le regardai dans les yeux, m’emparai de la feuille. « Ah oui, ajouta le barman. La fille dont il parle…Jamais vu cette gonzesse. Le gars était seul. » Seul, comme moi ce soir-là.

Ca commence infernal
Tes déhanchements n’ont pas la cote
Pas avec moi
Ça commence sur le fil
De la lame
Tu joues avec mon envie
De choisir
T’embrasser
Dans ce bar ou
Larguer les amarres
Irrésistible à mes côtés
Et puis esquif de la nuit
Se perdant dans l’ombre
Et les leds discrets
Diodes de ton corps
Qui font de mes yeux
Des artistes populaires
Irrésistible ouverte au désir
Avec toi
J’oubliais les bonnes réputations
Il n’y a pas de bonne réputation
Quand on quitte le beau monde
Baby
Ça commence infernal
Je sais pas comment
Te dire que le cinéma
Je le paie pas
Tu peux jouer la star
Version hollywood
Tu peux peut-être
Me lancer dans une petite galère
Tu sais sans effet spécial
Me glisser dans l’oreille
Un mot un seul
Pour changer de cap
Chantonner à l’unisson
D’un baiser réconfortant
De doigts tremblant
Sur tes hanches
Ça commence infernal
Je vais finir par t’aimer
sans effet spécial
Octobre 2020
Mascarade

Moine masqué tu marches
Dans la ville du patriarche
Yeux fixés sur tes pompes
Au fil des pas
T’as plus d’horizon à la longue
Rêves solidaires des pavés
Que d’autres ont foulés
Quand c’était vénitien
Aux jupons des canaux
Fantasmes colorés sous les cils
Lueurs nocturnes des fanaux
Quand c’était vénitien
Ton carnaval fou
Le satin noir de ton loup
Griffé sur tes joues
Aventurier un peu corto maltese
Tu marches
Dans la ville du patriarche
Tu laisses couler ton sang
Aux commissures de tes lèvres
Avec cette fièvre
Qui les embellit
Ta colombine boit ta bouche
Sous la collerette
Elle aime les causes perdues
Moine masqué tu marches
Dans la ville du patriarche
N’enfile pas ton costume constellé
Pauvre mec désarticulé
Joue doigts collés à ton violon
Les airs félons
De ta ville déserte
Joue ta mascarade
People en rade
En face ils t’épargneront
Feront des ronds
Et ton fard fondera
Sous la lune
Lune de l’infortune
Black night
Camarade de l’artillerie
Des armes lourdes
Qui te rendent invincible
Tenant ta bible
Urbaine et douce
Comme un pierrot un suppôt
De l’extrême onction
Moine masqué tu marches
Dans la ville du patriarche
T’as pas le look qui plaît (sLAm )
T’as pas le look qui plaît
Fille aux yeux rougis
T’as pas le look
Mais tu m’plais

Ta planque
C’est l’entre canaux
De la ville
La ville
Où tu es née
La ville
Des oubliés de la ville
Belle encore
Et toujours parce que
Pour toi elle sourit
Intra-veineuse
Un peu
Music
Dans ta tête
Quand tu la dorlotes
Sur les pavés ruisselants
Peuvent pas être secs
Et toi tes mains
La fabriquent
Jour après jour
Fille du jour qui meurt
Si t’as pas le look
T’as le langage
Les mots qui sourdent
Christ piercé
L’humanité en cloque
Dans ton petit ventre
Je t’aime fille
Aux yeux rouges
Tu t’infiltres enfin
Armée de pleurs
Et de bonheurs
T’as pas le look qui plaît
T’as le look
Qui me plaît

©Photos Perso, Street, Charleroi, 2018.
cheveux de femmes
Cheveux de femmes



Sous mes regards
Ils s’étalent dans les lumières
D’une douce matinée
Virevoltent et cachent
Parfois
Des yeux qui ensorcellent
Semblent naître d’un lointain
Qui nous agrippe
À des amours des rivages
Et nous épuisent
À vouloir les caresser
Cheveux de braise et de blondeur
Cheveux aux couleurs insaisissables
Filigranes qu’on ne possède jamais
Ecriture de l’offrande
Pudeur cache-cache de la beauté
Horizon plus loin encore
Que l’horizon
Cheveux de femmes
Parfumés par une fragrance
De terres sauvages
De plages rétives
D’eaux perlant
De roches pures
Cheveux de femmes
Je ne les peignerai jamais
Comme vous les aimez
Je les peignerai
Dans une sourde mêlée
Ivre de leur incandescence
Noyé dans le vent de leur envol
Fable de notre temps
Les ailes noires ne survoleront plus nos têtes
Ne sèmeront plus la ciguë
Qui vitriolait nos vies nos rires
Ces ailes caciques énucléant
L’ordre de nos gestes
Cassant l’image de l’autre
Les ailes se replieront
Frileuses et diablesses déchues
De nos lèvres délivrées
Nous boirons les vins et les nectars
Nos accolades seront des embrassades
Nos baisers des tourterelles dans l’azur des rues
Et nos paroles pleines de sens enfin
Résonneront au fil des tympans
Et ce seront des syllabes langoureuses
Nous nous sentirons nus
Comme aux premiers temps
Ceux que frôlaient nos émois d’enfants
Tu chanteras des gigues acoustiques
Des odes des mélopées
Viendront de là-bas les amazones
Déléguées des dieux antiques
Orgie chaste du bonheur
Aux plis de nos âmes
Je me réconcilierai mon frère
Et dans nos yeux naîtront
Ce calme qui tremble et frémit
Cette houle du désir apaisé
Vivipares de l’absolu
Lymphes immortelles
Corps multicolores
Nous aurons lapidé les venins
Immolé les inhumains
Rendu grâce à nos Artémis
Et à ce chêne grand qui m’enlace
Maître de mes herbes folles
Les ailes noires ne survoleront plus nos têtes
©Une photo prise par une amie roumaine, Liliana, en 2018

La pudeur

Je vous le dis la pudeur
Je n’ai pas de pudeur
Je ne cache rien
Je me dévoile
Le strip-tease c’est mon job
Je vous donne rendez-vous
Sur la scène
La scène du monde
Putain ces foules
Ces gens ces humains
Qui ne vous disent rien
Oui je suis impudique
Je vous les montre
Humbles paumés largués
S’en souviennent des colons
Sont partis les colons
Ont laissé la merde et les envies
Et leurs imitateurs au pouvoir
Tu veux voir les petites culottes du désespoir
Le bonheur dans les favelas
Les ghettos des amours métisses
Le pire y sont partout
Les colons
Nous on navigue
Sur les flots de l’indécence
Pourquoi t’es pauvre
Et affamé
Camarade
Pourquoi ce monde
Le génocide des mecs et des filles
Que j’aime
On finira par vous expatrier
De nos âmes révoltées
On finira vainqueurs
Pas de pudeur
C’est mathématique

L’homme au bout du couloir

La barbe
Rousse picotée de blanc
Colonise un visage couperosé
Comme de mauvaises herbes
Parsemant un champ à l’abandon
Les yeux mi-clos
N’ont d’autre horizon
Que l’ombre de ce bout de couloir
L’homme s’est adossé
À la paroi rugueuse
Les bras le long du corps
Les doigts s’arcboutent
Cherchent peut-être une bouteille
Échouée sur le sol
Des cheveux sans doute rares
Se terrent
Sous une casquette flétrie
La vie a du mal
À prendre en charge
Cette vieille carcasse
Elle est patiente
S’accroche à chaque saccade
De ce corps qui n’en veut plus
Peut-être entend-il
Les rumeurs de la salle des pas perdus
Plus loin aux tréfonds de la gare
Les haut-parleurs qui crachotent
L’humanité en ordre de marche
Et des tremblements de rails
Des machines enterrées
Emportant leurs convois
De voyageurs mécanisés
Peut-être entend-il aussi
Les sons intérieurs
Ceux qu’émet son passé
Les sons vigilants
De ses vies
D’une femme qu’il a connue
Aimée
Partie plus tôt que lui
Reste la photo écornée
Dans une poche
De sa veste
Cette veste qu’il ne quitte jamais
Qui épouse ses épaules voûtées
Ses coudes fatigués
C’est un bout de couloir
Où personne ne s’aventure
Un bout de couloir pour lui tout seul
La nuit et souvent le jour
Quand il a rassemblé
Quelques vivres au gré des rues
Du pinard ou de la gnôle
Les copains parfois
Ont de quoi
Une fois un chien
Est venu le flairer
Il aurait voulu qu’il reste
Avec cette odeur animale
Qui fait du bien
Aurait voulu retenir
Le bonheur du monde
Et les forfaits tout compris
D’un long périple en costume chic
Il aurait aimé tout ça
Il en sourit dans sa barbe rousse
Picotée de blanc
Sans importance
Puisque son sourire il le garde
