Projet écriture 1 (titre provisoire)

Bruxelles, A la mort subite, janvier 2016

Photo anonyme, en errance sur le Net
Prologue
Je sais que vous tenez maintenant mon manuscrit en mains. Devant vos yeux de lecteur attitré. Je ne citerai pas encore la maison d’édition, par précaution. Je dois d’abord vous mettre en demeure. En demeure de me lire, c’est votre job.
Je ne sais pas si vous apprécierez ce que j’écris, mais là n’est pas la question.
Vous ne me survivrez pas si vous ne vous mettez pas à la tâche.
Alors, pourquoi pas ? Je commence par le récit de notre rencontre. Au bistrot A la Mort subite, dans le centre de Bruxelles. Un après-midi de décembre. Je ne me souviens pas de l’année exacte, mais c’était avant…
L’après-midi, en, semaine, en-dehors des vacances, La Mort Subite, c’est calme, quelques clients attablés de-ci delà dans la longue enfilade du café, pas de musique, l’impression d’avoir pieds dans une autre époque, compassée, intemporelle. Des murmures filtrés se diluent dans un silence que semblent nourrir les deux garçons accoudés au comptoir. Les murs affichent toujours d’antiques photos, délavées, qui témoignent d’un passé plutôt fantomatique.
Dehors, la rue, pourtant proche du centre, n’est guère animée. Pas de neige, mais un fluide glacial, bruineux, qui s’insinue dans les moindres recoins et vous fait croire que le ciel gris apporte la rédemption… J’aime ce Bruxelles délétère, maître du jeu, cette ville qui, depuis longtemps, a inhibé mon âme et mon corps.
Je me suis installé près de la fenêtre, à droite en entrant. Une table où, jadis, … mais c’est une autre histoire. Maintenant, je sais que vous n’allez pas tarder. Vous faites partie de ces gens qui respectent au dixième de seconde leurs rendez-vous, parce que vous aimez être irréprochable. Je sais aussi que ce n’est pas par conviction que vous allez me rencontrer – des manuscrits, vous en lisez des mille et des cents chaque semaine -, mais je crois par un effet d’inéluctabilité !
Mon chapeau, un Wesley de chez Brixton, trône à quelques centimètres de la chemise qui enserre mon manuscrit, et déjà, une gueuze m’a été apportée par l’un des garçons, en gilet noir et tablier blanc. Le style, car il faut du style. Surtout avec moi.
A l’heure dite, vous entrez. Vous ne correspondez pas tout à fait à ce que j’avais espéré, ou
craint.

Photo Charles le Brusseler
1.
Vous êtes entré dans la salle. Impossible de ne pas vous reconnaître. On reconnaît toujours les personnes insignifiantes dans la réalité, comme les personnages secondaires dans d’autres contextes … Plutôt mince, la quarantaine, le crâne en partie dégarni, un visage passe-partout, un costume noir, séant mais anonyme, urbain, définissant une personnalité diaphane. Pour donner le change, tes chaussures ! Elles, elles dénotent, attirent un instant le regard. Sans doute des Magnanni Derbies ? Couleur cognac, et je crois de pointure… exagérée.
Je n’oublie pas le petit attaché-case plus ou moins de la même teinte, religieusement coincé sous le bras droit. Vous êtes celui à qui j’ai donné rendez-vous dans ce vieux café de la capitale, celui à qui peut-être je remettrai dans quelques instants un manuscrit, à même posé sur la table à côté de mon chapeau. Peut-être.
Je pensais à ce moment au premier chapitre du Pendu de Saint-Pholien, quand le commissaire Maigret, lui aussi, se retrouve dans ce bistrot quasi désert. « Et il avait pénétré, en simple curieux, dans un petit café de la Montagne aux Herbes Potagères. » Je ne suis pas un simple curieux, j’aime les lieux qui laissent des marques, se perpétuent. Je l’ai écrit et vous allez peut-être sous peu découvrir mes véritables intentions. Si vous m’écoutez, si vous lisez entre les lignes.
Un bref petit signe de la main et vous vous attablez en face de moi.
Des phrases de simple civilité s’échangent, je déteste reproduire ces ridicules entrées en matière. Je vais à l’essentiel. Vous commandez un café, le garçon s’exécute.
Photos ci-dessous : Farewell (sur Google+)
Laurence VIELLE, poète (poétesse) national(e) de Belgique
« Etre poète, c’est une façon de se mettre en résonance avec les vibrations du monde quelles qu’elles soient, avec les mots. Pour moi, la poésie est musicale, rythmique, orale. La poésie, c’est une force vive dont le monde a grand besoin. »
Extrait d’une interview au journal Le Soir (Belgique) de ce 14 janvier 2016.
Laurence Vielle devient notre deuxième poète national, elle succède à Charles Ducal. Etre artiste « national », chez nous en Belgique, cela a du poids!
Traversée (Le Soir, Belgique, 3o janvier 2016)
MIS EN LIGNE LE 30/01/2016 À 12:44
Voici le premier « poème national » écrit par Laurence Vielle.
Le train naar ons landje a amené
italiens polonais français grecs marocains
espagnols et ceux de l’est et ceux du sud
et ceux de l’ouest et ceux du nord
a charrié forces vives petit pays klein landje
depuis toujours pétri de tant de traversées
ah treinen treinen train des partitions de fils
où chantent les corbeaux
le train avale visages et puis les rend aux quais
d’une autre vie
ah le train le train qui déplace la mienne
d’un quai à l’autre de l’Europe
d’une langue à l’autre de la Belgique
de Bruxelles tu pars vers Liège
et puis Luik et puis Liège
de Bruxelles tu pars vers Mons
et puis Bergen et puis Mons
quand les bras de mon amour sont là pour m’accueillir
il est bon le retour et je pense à tous ceux
lâchés au quai d’ici sans bras pour les cueillir
ah treinen treinen petit train électrique
de mon père de mon frère traverse mon enfance
montagnes de carton pâte
personnages minuscules
nous sommes ces petites femmes tout petits hommes réenchantons le monde encore
aux rails de nos vies
le train file défile enfile les paysages
de nos visages qui se reflètent dans la vitre
se fondent à chaque prairie
chaque ciel qui effeuille toutes les formes des nuages s’y perdent nos visages
train des premières ou secondes classes
les vaches blanches nous regardent
ou l’animal sauvage immobile en effroi
train des courriers des marchandises
des pauvres bêtes d’abattoir
des convois noirs pas revenus
train de toutes les mémoires
ô treinen treinen
le train parfois est en retard
piétinent les passagers
quai du train qui déraille
de trein s’il part à l’heure
est sur une ligne sans obstacle
si un corps n’est pas désespéré
est sur une ligne sans obstacle
le train parfois est trash
et quand le train à grande vitesse
passe au pays d’à côté
mon âme assise reste à m’attendre
sur le quai de Bruxelles
le train parfois s’arrête à chaque gare
avant qu’elle ne s’efface
face aux guichets automatiques
salue l’homme au sifflet du départ
un bruit presqu’un klaxon
ferme les portes du wagon
et si le train ne roule plus
tout le pays est suspendu
au chant des corbeaux sur le fil
le train relie trace des lignes
cliqu’tis des tricoteuses
des baladeuses et des liseuses
train des ordis et des rêveurs
treinen des contrôleurs
train des traintrains quotidiens
emmène-moi au littoral
emmène-moi en Hautes Fagnes
ouvrons mijn vriend ouvrons le train
aux sans papiers aux sans rivages
et que le train tout comme
les veines bleues du monde
charrie ici coeurs nouveaux
pour y semer entrains de vie
train démocratique fenêtres claires
offre-nous un ticket ouvert
chaque premier dimanche du mois
pour explorer tout bled
où les rails filent encore
que notre pays devienne
labo de nos curiosités
à l’étranger si près
qui partage avec nous
nos contrées séparées
oh ooooh train trrrrein
trrrrreinen trrrrrrrrrain
trrrrransporte-moi
trrrrravaille-moi ébrrrranle-moi
entrrraîne-moi trrrrame de roulis neufs
le tissu pâle
de nos corps endormis
et tandis que j’écris
un homme face à moi
en boule sur banquette
voyageur sans ticket
dans son silence implore
l’argent pour continuer
vivant le grand voyage
version courte
Le train naar ons landje a amené
italiens polonais français
grecs marocains espagnols
et ceux de l’est et ceux du sud
et ceux de l’ouest et ceux du nord
a charrié forces vives
petit pays klein landje
depuis toujours pétri
de tant de traversées
ah treinen treinen
train des partitions de fils
où chantent les corbeaux
le train avale visages
et puis les rend aux quais
d’une autre vie
ah le train le train
qui déplace la mienne
d’un quai à l’autre
de l’Europe
d’une langue à l’autre
de la Belgique
de Bruxelles tu pars vers Liège
et puis Luik et puis Liège
de Bruxelles tu pars vers Mons
et puis Bergen et puis Mons (…)
train des courriers des marchandises
des pauvres bêtes d’abattoir
des convois noirs pas revenus
train de toutes les mémoires
ô treinen treinen
le train parfois est en retard
piétinent les passagers
quai du train qui déraille (…)
et si le train ne roule plus
tout le pays est suspendu
au chant des corbeaux sur le fil
le train relie trace des lignes
cliqu’tis des tricoteuses
des baladeuses et des liseuses
train des ordis et des rêveurs
treinen des contrôleurs
train des traintrains quotidiens
emmène-moi au littoral
emmène-moi en Hautes Fagnes
ouvrons mijn vriend ouvrons le train
aux sans papiers aux sans rivages
et que le train tout comme
les veines bleues du monde
charrie ici coeurs nouveaux
pour y semer entrains de vie
train démocratique fenêtres claires
offre-nous un ticket ouvert
chaque premier dimanche du mois
pour explorer tout bled
où les rails filent encore
que notre pays devienne
labo de nos curiosités
à l’étranger si près
qui partage avec nous
nos contrées séparées
oh ooooh train trrrrein
trrrrame de roulis neufs
le tissu pâle
de nos corps endormis
humain 2016
boire
une gouttelette d’humain
jusqu’à la rasade
suivre
un vol dégingandé d’oiseaux
ineffables
et dans le large des océans

OLYMPUS DIGITAL CAMERA photo perso La Panne automne 2015