Archive | mars 2020

L’homme au bout du couloir

OLYMPUS DIGITAL CAMERA ©PhotoPerso

La barbe

Rousse picotée de blanc

Colonise un visage couperosé

Comme de mauvaises herbes

Parsemant un champ à l’abandon

Les yeux mi-clos

N’ont d’autre horizon

Que l’ombre de ce bout de couloir

L’homme s’est adossé

À la paroi rugueuse

Les bras le long du corps

Les doigts s’arcboutent

Cherchent peut-être une bouteille

Échouée sur le sol

Des cheveux sans doute rares

Se terrent

Sous une casquette flétrie

La vie a du mal

À prendre en charge

Cette vieille carcasse

Elle est patiente

S’accroche à chaque saccade

De ce corps qui n’en veut plus

Peut-être entend-il

Les rumeurs de la salle des pas perdus

Plus loin aux tréfonds de la gare

Les haut-parleurs qui crachotent

L’humanité en ordre de marche

Et des tremblements de rails

Des machines enterrées

Emportant leurs convois

De voyageurs mécanisés

Peut-être entend-il aussi

Les sons intérieurs

Ceux qu’émet son passé

Les sons vigilants

De ses vies

D’une femme qu’il a connue

Aimée

Partie plus tôt que lui

Reste la photo écornée

Dans une poche

De sa veste

Cette veste qu’il ne quitte jamais

Qui épouse ses épaules voûtées

Ses coudes fatigués

C’est un bout de couloir

Où personne ne s’aventure

Un bout de couloir pour lui tout seul

La nuit et souvent le jour

Quand il a rassemblé

Quelques vivres au gré des rues

Du pinard ou de la gnôle

Les copains parfois

Ont de quoi

Une fois un chien

Est venu le flairer

Il aurait voulu qu’il reste

Avec cette odeur animale

Qui fait du bien

Aurait voulu retenir

Le bonheur du monde

Et les forfaits tout compris

D’un long périple en costume chic

Il aurait aimé tout ça

Il en sourit dans sa barbe rousse

Picotée de blanc

Sans importance

Puisque son sourire il le garde

Je voudrais pas crever Boris VIAN

(anniversaire de sa mort)

Je voudrais pas crever

Avant d’avoir connu

Les chiens noirs du Mexique

Qui dorment sans rêver

Les singes à cul nu

Dévoreurs de tropiques

Les araignées d’argent

Au nid truffé de bulles

Je voudrais pas crever

Sans savoir si la lune

Sous son faux air de thune

A un côté pointu

Si le soleil est froid

Si les quatre saisons

Ne sont vraiment que quatre

Sans avoir essayé

De porter une robe

Sur les grands boulevards

Sans avoir regardé

Dans un regard d’égout

Sans avoir mis mon zobe

Dans des coinstots bizarres

Je voudrais pas finir

Sans connaître la lèpre

Ou les sept maladies

Qu’on attrape là-bas

Le bon ni le mauvais

Ne me feraient de peine

Si si si je savais

Que j’en aurai l’étrenne

Et il y a z aussi

Tout ce que je connais

Tout ce que j’apprécie

Que je sais qui me plaît

Le fond vert de la mer

Où valsent les brins d’algues

Sur le sable ondulé

L’herbe grillée de juin

La terre qui craquelle

L’odeur des conifères

Et les baisers de celle

Que ceci que cela

La belle que voilà

Mon Ourson, l’Ursula

Je voudrais pas crever

Avant d’avoir usé

Sa bouche avec ma bouche

Son corps avec mes mains

Le reste avec mes yeux

J’en dis pas plus faut bien

Rester révérencieux

Je voudrais pas mourir

Sans qu’on ait inventé

Les roses éternelles

La journée de deux heures

La mer à la montagne

La montagne à la mer

La fin de la douleur

Les journaux en couleur

Tous les enfants contents

Et tant de trucs encore

Qui dorment dans les crânes

Des géniaux ingénieurs

Des jardiniers joviaux

Des soucieux socialistes

Des urbains urbanistes

Et des pensifs penseurs

Tant de choses à voir

A voir et à z-entendre

Tant de temps à attendre

A chercher dans le noir

Et moi je vois la fin

Qui grouille et qui s’amène

Avec sa gueule moche

Et qui m’ouvre ses bras

De grenouille bancroche

Je voudrais pas crever

Non monsieur non madame

Avant d’avoir tâté

Le goût qui me tourmente

Le goût qu’est le plus fort

Je voudrais pas crever

Avant d’avoir goûté

La saveur de la mort…

Je voudrais pas crever,

Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1962

Le bar à poèmes

Vous prendrez bien encore un vers ! Anthologie de poésie, personnelle (néanmoins ouverte à tous), établie par Bernard Plouzennec.

http://www.barapoemes.net/archives/2014/01/04/28847314.html

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Inscrire mes pas

Inscrire mes pas

Dans ceux déjà tracés

Les miens jadis

La terre les enfouit

L’horizon les claquemure

Inscrire mes pas

Pour ne pas me perdre

Regards sur l’infini

Oreilles connectées

Sur les trémolos stellaires

J’aime débouler

Dans les sentiers qui se croisent

Dans le sexe de la nuit

Pourquoi la nuit

Elle s’évertue

À me caresser

De ses lunes moribondes

Pourquoi la nuit

Elle a du fitness

Gonflant ses vagues

De belles nuances sombres

Fumigène à toute heure

Fuyant l’aube

Inscrire mes pas dans les courbes

De sa boussole folle

Et sentir sa chaleur

À même l’humus du sol

La nuit guide mes pas

Camarade

J’entends les branches

Dingues un peu van gogh

Je leur demande de filtrer

Mes pas dans ceux déjà tracés

Les miens jadis

©GilRay, mars 2020

Joy Division, She’s  Lost Control : https://open.spotify.com/track/49G0Rj1qpt75vdgiOo8QAE?si=zvQl7M4qQEOBYg-4mAIFAw

J’aurais voulu

J’aurais voulu que les murs de la ville me parlent

Que les grandes fresques me nettoient les yeux

Voulu que ces rues me racontent des histoires

M’arriment dans des regards de femmes intemporelles

Rencontrées par hasard

Des soirs de vin généreux

Palpitants comme des mains qui chavirent

Voulu que tu sois là parfois

Et la philosophie de ton corps

Avec ta vie à la dérive

Voulu voulu je n’osais pas parler

Penaud dans la disgrâce de ma vie

Mais si fervent de tes gestes

Il y avait un peu de brillance

Au moment où tu me noyais

Sous tes pupilles

Je suis les traces de ton existence perdue

Dans la mienne

J’aurais voulu que les murs de cette ville

Gardent un souvenir incrusté

Une bague de fiançailles

Qui ne vieillirait pas

Voulu voulu

https://youtu.be/PLFPSi2Fp4s : Anne Vanderlove, Les rendez-vous manqués.