L’homme au bout du couloir

La barbe
Rousse picotée de blanc
Colonise un visage couperosé
Comme de mauvaises herbes
Parsemant un champ à l’abandon
Les yeux mi-clos
N’ont d’autre horizon
Que l’ombre de ce bout de couloir
L’homme s’est adossé
À la paroi rugueuse
Les bras le long du corps
Les doigts s’arcboutent
Cherchent peut-être une bouteille
Échouée sur le sol
Des cheveux sans doute rares
Se terrent
Sous une casquette flétrie
La vie a du mal
À prendre en charge
Cette vieille carcasse
Elle est patiente
S’accroche à chaque saccade
De ce corps qui n’en veut plus
Peut-être entend-il
Les rumeurs de la salle des pas perdus
Plus loin aux tréfonds de la gare
Les haut-parleurs qui crachotent
L’humanité en ordre de marche
Et des tremblements de rails
Des machines enterrées
Emportant leurs convois
De voyageurs mécanisés
Peut-être entend-il aussi
Les sons intérieurs
Ceux qu’émet son passé
Les sons vigilants
De ses vies
D’une femme qu’il a connue
Aimée
Partie plus tôt que lui
Reste la photo écornée
Dans une poche
De sa veste
Cette veste qu’il ne quitte jamais
Qui épouse ses épaules voûtées
Ses coudes fatigués
C’est un bout de couloir
Où personne ne s’aventure
Un bout de couloir pour lui tout seul
La nuit et souvent le jour
Quand il a rassemblé
Quelques vivres au gré des rues
Du pinard ou de la gnôle
Les copains parfois
Ont de quoi
Une fois un chien
Est venu le flairer
Il aurait voulu qu’il reste
Avec cette odeur animale
Qui fait du bien
Aurait voulu retenir
Le bonheur du monde
Et les forfaits tout compris
D’un long périple en costume chic
Il aurait aimé tout ça
Il en sourit dans sa barbe rousse
Picotée de blanc
Sans importance
Puisque son sourire il le garde
