Le photographe du mois (Pix Visu)

©Photo Perso GilRay
Cet été, à Pantin, Seine-St-Denis, un photographe a fixé sur la pellicule des jeunes gens qui plongeaient dans le canal de l’Ourcq
Séan McGirr, un photographe d’origine irlandaise, né à Dublin, établi en France, a photographié des jeunes plongeant dans le canal de l’Ourcq, pendant la canicule estivale.
Pantin, en Seine-St-Denis, change, les abords du canal se gentrifient, loin du Pantin populaire, en proie aux problèmes éconmiques…






T’as pas le look (sLaM)
Fille aux yeux rougis

T’as pas le look qui plaît
T’as pas le look
Mais tu m’plais
Ta planque
C’est l’entre canaux
De la ville
La ville
Où tu es née
La ville
Des oubliés de la ville
Belle encore
Et toujours parce que
Pour toi elle sourit
Intra-veineuse
Un peu
Music
Dans ta tête
Quand tu la dorlotes
Sur les pavés ruisselants
Peuvent pas être secs
Et toi tes mains
La fabriquent
Jour après jour
Fille du jour qui meurt
Si t’as pas le look
T’as le langage
Les mots qui sourdent
Christ piercé
L’humanité en cloque
Dans ton petit ventre
Je t’aime fille
Aux yeux rouges
Tu t’infiltres enfin
Armée de pleurs
Et de bonheurs
T’as pas le look qui plaît
T’as le look
Qui me plaît


Boire cette nuit

Je bois cette nuit
Dans la coulure du jour
Mes paupières se closent
Comme des chiennes soumises
Et je fais l’inventaire de mes ivresses
Épousseter le néant
C’est ce qu’ils m’obligent à faire
Rafler les traces
Sidérer le petit peuple
Les pacotilles d’humanité
Je bois cette nuit
Mielleuse dans ma bouche
Eau vive alcool des insomniaques
Ils l’ont tant dénigrée
Avec ses lunaisons ses venins
Mais elle triomphe pluie noire
Trompe un soleil médusé
Irradie les aveugles
Nuit des invalides de la nuit
Nuit des pistoleros
Sur leurs selles de cuir râpeux
Nuit plus grande encore
Quand elle fait la nique
Au chaos du jour

©GilRay
Septembre 2019
Une publication annoncée
Une publication annoncée…
Pour la 3e année consécutive, l’Espace Ecrivain Public, à Binche, a lancé cet été un (3e) concours de nouvelles, dans le cadre de son action « Ecrire en été ». Il s’agissait de donner une suite à un incipit, un premier paragraphe rédigé par une auteure, en illustrant librement un genre littéraire au choix.
J’y ai participé, connaissant l’une des personnes responsables, qui m’a, il y a deux ans, encouragé à devenir bénévole en alphabétisation dans ma région.
Un comité de lecture a sélectionné seize nouvelles, dont la mienne, qui seront publiées au printemps prochain par l’Atelier 53 (l’espace est situé au 53 avenue Charles Deliège à Binche).
Ma nouvelle s’intitule « Et j’ai chanté dans la douce pâleur de l’aube ». Elle figure aussi sur mon blog www.gillesray.be.
A noter : prochainement l’atelier organisera des stages de slam.

La page du blog : http://www.gillesray.be/…/et-j-ai-chante-dans-la-douce-pale…
Le site Facebook de l’Espace Ecrivain Public / Atelier 53 : https://www.facebook.com/lesecrivainspublicsbinchois/
Portraits Urbex / Carole
Carole, Fol danse
Carole, prisonnière de la Tour
Cette tour comme un giron
Puits de lumière et d’ondes
Où médite la Femme aux Cheveux de Ciel
Elle appelle l’infini
Colore les anneaux de métal et de ciment
Sirène des banlieues électriques
Et soudain fuse un dernier regard
Frange ovoïde et corps enrobés
©GilRay, août 2019
Portraits Urbex / Wen Dy
Wen Dy et le vieux piano
Wen Dy, dans l’ombre de la Forte Taille
Les ombres voltigent dans les pierres lunaires
Dans les briques d’usine
Le long des vieilles poutres métalliques
La lumière cherche des détours
Le visage éclot
Inquiet yeux à mi-chemin
Corps épousant le désordre
Minéral
Femme lovée dans la courbure
D’une forge oubliée
©GilRay, août 2019
Portraits Urbex / Isabelle
Isabelle, romance
Isabelle, là-bas
Comme Baudelaire j’aime le souvenir de ces époques nues
Ces visages ces silhouettes saisis
Dans les rais d’une lumière timide
Et leurs traits à jamais ingénus
Rosées de l’aube du monde
J’aime vivre les frissons
Les regards épanouis
Un bonheur au sein de ce qui fut
Une innocence marbrée
Le souvenir des époques nues
©GilRay, août 2019
Et j’ai chanté dans la douce pâleur de l’aube
Je propose ce texte à l’occasion d’un Concours de nouvelles, organisé par l’Espace Écrivain Public, de Binche (Hainaut, Belgique): écrire en été… Le premier paragraphe est un incipit par lequel on doit commencer (auteur: Françoise Lison-Leroy).

« C’est un matin de lune pâle et de rosée. On dirait que le brouillard a fui comme un voleur, entre les aubépines. Témoin, le chaton aux yeux fauves, guettant une proie improbable. Le chemin asphalté relie la campagne à la ville. Quelques cyclistes se hâtent vers la gare. Un camion de livraison s ’arrête au carrefour et relance sa course. Par la fenêtre, j’observe le paysage qui sera le mien pour quelques jours. Hier soir, à mon arrivée, la brume enveloppait déjà le hameau désert. Le sommeil s’est abattu sur la petite maison bien rangée. Sur moi aussi. (1)
J’ai l’impression de plonger dans un monde que je ne connais pas, d’être happée par cette atmosphère trouble. La brume, tenace, semble s’être collée aux petites fenêtres de la cuisine, une lumière glauque perce tant bien que mal les vitres. Les formes se diluent dans le lointain, se confondent, ombres diurnes, le jour naissant n’a rien dissipé des exhalaisons filandreuses de la veille. J’essaie de me souvenir d’hier soir, de ce que j’ai fait en arrivant, pourquoi le sommeil me guettait à ce point. Peu à peu, je recompose les moments, les lieux, dans un désordre que j’ai du mal à corriger. Serait-ce le verre de gin que j’ai avalé pour me détendre, pour me convaincre qu’enfin j’allais vivre des moments de paix, ici, loin d’un passé morbide… Deux ou trois jours, peut-être plus, pour me retrouver, sonder l’âme de la terre et du ciel, écrire l’indicible.
A peu de distance, le toit de la gare où j’ai débarqué en début de soirée. C’est à peine s’il se dessine dans cette effervescence de brouillard et de condensation, comme sur une photographie travaillée par un artiste numérique, et les méandres floutés de la route qui serpente à proximité. Cette route que j’ai empruntée à pied, ma valise en main, lourde, sans roulettes. Je savais que la maison s’érigeait là, dans cet abaissement des nuages, dans cette fange de lumière déclinante, qu’elle m’attendait. Presque épuisée, je l’ai rejointe, avec cette impression qu’elle allait m’engloutir ou me protéger, seule bouée, ou écueil annonciateur d’un naufrage ? Curieux : je cherche un havre, et tout ici m’incite à la peur de revenir aux démons d’antan. Me suis-je trompée ?
La maison, ou plutôt la maisonnette, inspire pourtant la confiance. Tapie en retrait de la route, dans un jardin aux herbes folles, elle offre au regard une façade campagnarde, sertie de fenêtres aux dimensions modestes, et la porte d’entrée, peinte en un bleu pastel qui repousse la brume, fait mine de m’accueillir je dirais presque chaudement, si ce n’était cette bulle de poisse enveloppant la zone.
Je me souviens avoir introduit la clef et perçu aussitôt l’ouverture, pêne huilé, pas de sifflement de rouille, la cuisine se coulant dans mes yeux. J’aurais dû sans doute me méfier de ce clair-obscur qui nageait à la surface des meubles, mais la fatigue embuait mon esprit, l’envie de poser ma valise, de m’asseoir, de boire un léger remontant. J’avais une bouteille de gin drapée dans un essuie au plus profond de ma valise, vieille habitude. Toujours cette idée de « faire face », d’affronter l’inconnu.
Je me rappelle maintenant le nom de cet homme qui m’a fixé rendez-vous dans cette demeure, je l’ai rencontré dans un quartier où d’ordinaire je me perds parfois quand la nuit me déclare la guerre. Une ville pas si lointaine, qui fait contraste avec le peu de mouvements discernables aux alentours ce matin. Cet homme n’a pas d’âge, ses traits se perdent dans ma mémoire, mais pas son nom : Juan Adolfo. Il me l’a susurré dans mes oreilles, alors que je l’avais abordé précipitamment, seul gars errant dans les parages, boitillant et sentant l’alcool.
Il ne m’a pas accostée, il s’est saisi de moi par mes épaules.
- Je suis Juan , Juan Adolfo, tu as besoin de moi.
- ?
- On s’est déjà rencontrés, tous les deux, mais tu ne sais plus où…
Je n’ai pas répondu. Une fine bruine, genre crachin, se fixait sur nos vêtements. Je me suis laissé entraîner vers un bar, dont les néons se tamisaient dans l’obscurité, et, une fois à l’intérieur, il m’a longuement parlé. Sur le zinc, des petits godets d’alcool égrenaient notre conversation. Conversation est un grand mot, c’était lui qui tenait le crachoir. Il paraissait me connaître, connaître mon passé, mes errances. Il répétait que celles-ci prendraient bientôt fin, qu’il fallait qu’on se voie ailleurs, dans le calme d’un hameau loin de la ville. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi cet individu s’intéressait à moi, comme un thérapeute de la nuit.
C’est alors qu’il me glissa dans la poche révolver de mon jean un petit billet.
- C’est l’adresse, précisa-t-il. Facile de s’y rendre, par un train régional. On s’y retrouvera, si tu veux revenir sur ce qu’on a vécu…
Il disparut tout à coup, me laissant seule dans ce bistrot au milieu de nulle part.
◊
Je suis assise dans la cuisine. Le silence étouffe tout bruit incongru. Je détaille la pièce, y a-t-il de quoi se sustenter ? A-t-il prévu de mettre quelques provisions à ma disposition ? Je n’ai pas le courage d’ouvrir les portes des armoires, du frigo, pas de faim matinale, mais l’envie de m’enfouir davantage dans cet antre hors du temps.
La cuisine donne sur un espace plus grand, un salon dépareillé, où aboutit un escalier de bois menant à l’étage. Je ne sens aucune odeur de renfermé, mais plutôt une étrange fragrance, comme des herbes aromatiques séchées peuvent en diffuser. Divan, fauteuils, table, vaisselier… tout respire un passé rural, défraîchi.
J’ai dormi dans un lit haut, dont le matelas reposait sur un sommier grinçant.
Les murs de la chambre sont nus, je n’ai pas vu tout de suite le vieux cahier qui, sous la poussière, reposait sur une table de chevet dépourvue de lampe. Ce matin, je le remarque, je l’ouvre et… en le feuilletant, pages lignées, jaunies, je tombe sur une photographie brunâtre, encore collée. Elle est la seule hôtesse de ce cahier, pas d’annotations, rien d’autre, si ce n’est une émanation de nuits effacées, comme un pot-pourri indéfinissable.
Cette photo… Les ombres trahissent les personnages : Juan, moi, dans un vague décor décoloré, une grande salle aux lambris que lèche une lumière blafarde. Je me souviens, à présent.
Je n’avais plus cette voix qu’appréciaient tant les critiques. Soprano colorature, elle m’avait élevée dans les sphères du chant, m’avait offert quelques opéras célèbres, m’avait rapprochée de grands noms du bel canto… Et puis, ce fut la chute, soudaine, inexplicable, l’oubli rapide et cette longue suite de vies comme une succession infernale, une abyssale envie de sonder le désespoir. Cette photo, c’était la dernière à la Monnaie, Juan tentait de me consoler. Juan ! Mon impresario.
Effacer le passé, gommer la voix, vivre ces instants dilués… Je ne dormirai pas dans cette chambre, je respirerai ses odeurs enfouies, ses parfums fanés, les moisissures du temps. Le cahier me tiendra compagnie. Je chanterai dans ma tête les airs que j’adorais. Je toucherai de mes doigts les vieux papiers peints, toujours bien collés sur les plâtres antiques. J’entendrai encore et encore les paroles de Juan, en légers friselis dans mes oreilles. Je serai celle qui n’a plus d’âge.
◊
Ce matin s’est révélé comme une vieille plaque photographique, émergeant de ses bains. Me serais-je assoupie dans cette nuit maternelle ? J’ouvre des paupières, je ne sais pas si elles se sont fermées. Je regarde le monde par les carreaux de la fenêtre, émaillés de toiles d’araignées. Un peu de soleil se glisse dans les brumes naissantes. La rosée s’embellit. Mon regard cherche les repères de la veille, des silhouettes dans le lointain, le chemin qui s’effiloche…
La maison s’assagit, je ne sens plus les rumeurs basses de la nuit, mais au-dedans de moi-même serpentent toujours ces flottements rauques, ces airs qui s’égarent. Je suis colorature, avec des rides et des cordes vocales à la dérive. Je suis colorature, et Mozart m’oublie.
Pourquoi ne pas languir dans ces murs qui me délaissent ?
J’ai déposé le cahier sur une table de nuit ; j’ai dit à Juan de partir, d’aller ailleurs ; j’ai refait ma toilette de jeune première…
… Et j’ai chanté dans la douce pâleur de l’aube.
∫ Raymond GILLES
[1] Incipit de Françoise Lison-Leroy
«
Zinc
(En hommage à Jacques Prévert)

Il a placé ses mains
Sur le zinc du comptoir
Attendu qu’on le serve
La fille connaît ses habitudes
Un petit ballon de rouge
Il est tôt pourtant
Mais qu’adviendra-t-il après
Il a porté le verre à ses lèvres
Bu lentement
Ses pensées se sont évadées
Comme chaque matin
Alors il a voulu les rattraper
Il a reposé le verre et ses mains
Sur le zinc du comptoir
La fille servait d’autres clients
Elle n’a rien vu venir
Le sourire du gars
Les paroles murmurées
Le tremblement de ses doigts
Et la noyade de son regard
Il a délaissé son tabouret
Est sorti du bistrot
Un peu plus vieux maintenant
Le boulevard s’aspergeait déjà
De lumière dans les platanes
©GilRay, août 2019